9 octobre 2009



Ruwen Ogien vs Marquis de Sade





"Je ne crois pas que la vocation de l'éthique ou la morale (je ne fais pas de différence entre les deux), soit de régenter nos pensées, nos désirs, nos manières de jouïr, nos fantasmes ou nos traits de caractères. Une telle extension du domaine de la morale, un tel "maximalisme" moral, risquerait de menacer des libertés individuelles comme celle de faire ce qu'on veut de sa vie du moment qu'on ne nuit pas à autrui et celle de penser. Dans un régime de morale maximale on pourrait juger "immorales" non seulement nos actions, mais aussi nos sentiments intimes. On pourrait vous reprocher non seulement ce que vous faites aux autres, mais aussi ce que vous vous faites délibérément à vous-même. Dans un tel monde, il serait parfaitement légitime de vous déclarer "immoral" parce que vous vous moquez d'être "parfait", vous fumez, vous consommez des drogues aussi répandues que l'alcool et le haschich, vous tombez malade au mauvais moment, vous regardez des films pornos, vous gâchez vos talents en préférant les jeux vidéo à la pratique du piano. Qui aimerait vivre dans un tel monde, où rien de ce qu'on est, pense ou ressent, aucune de nos activités fût-elle la plus solitaire, n'échappe au jugement moral?"






"on pourrait résumer  l'éthique minimale à ces trois principes :

1. neutralité à l'égard des conceptions du bien personnel, ou, indifférence morale par rapport à soi-même.
2. non-nuisance à autrui.
3. égale considération des revendications de chacun.

Ces principes me paraissent particulièrement adaptés aux sociétés démocratiques, laïques et pluralistes. Ils permettent d'éclairer de très nombreuses questions du débat public."






"Je cherche à débarrasser non seulement les systèmes politiques et juridiques mais aussi les systèmes moraux de ce qu'on appelle en histoire du droit les "crimes sans victimes". En droit, il y a trois sortes de crimes de ce genre.

1. Les conduites qui ne causent des dommages directs qu'à soi-même (comme la toxicomanie ou le suicide).
2. Les activités auxquelles nul n'a été contraint de participer et qui ne causent aucun dommage direct à des "tiers" (comme les jeux d'argent ou les relations sexuelles entre personnes consentantes de quelque nature qu'elle soient).
3. Les offenses à des entités abstraites ou symboliques (comme "Dieu", la  "patrie", les "signes de la religion", le "drapeau de la nation").

Dans tous ces cas, on peut en effet se demander "Où sont les victimes?", c'est à dire "Où sont les personnes physiques, concrètes, qui ont directement subi des dommages contre leur gré?".

À mon avis, il est possible d'étendre ces qualifications au domaine moral et de définir ainsi trois sortes de crimes moraux sans victimes :

1. Infractions aux supposés devoirs moraux envers soi-même comme ceux de ne pas se suicider ou de ne pas "gâcher" ses talents naturels.
2. Relations auxquelles on a donné son consentement mais qui sont néanmoins supposées "immorales" comme la vente et l'achat d'organes ou de services sexuels.
3. Atteintes à des entités abstraites ou symboliques comme la Nature humaine, l'Espèce humaine, l'Ordre Symbolique ou la Dignité humaine."





Ruwen Ogien 
est un philosophe français contemporain. directeur de recherche au CNRS, ses travaux portent notamment sur la philosophie morale, la philosophie des sciences sociales, et intensifient ses observations sur l'éthique.

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