Yvonne
Aujourd’hui ma grand-mère paternelle aurait
eu 96 ans.
Elle naît en 1917, sera fille unique et
orpheline de père très jeune.
Elle s’appelle Leminoux, çà ne s’invente
pas !
En mai 1917, les couturières parisiennes
manifestent pour leurs conditions de travail,
c’est la grève des Midinettes.
Yvonne grandit à Brest, à la fin de la
terre, parmi les marins qui prennent souvent le large.
Elle aura une relation fusionnelle avec sa
mère qu’elle chérit.
Elle a 17 ans lorsqu’elle se marie avec
Léon.
A ma connaissance, il sera son seul
compagnon d’amour jusqu’à la fin de ses jours.
Elle a 20 ans à peine à la naissance de leur premier enfant.
Sa vie bascule en 1940. Léon est envoyé sur
le front et ne reviendra que 5 ans plus tard.
Elle se retrouve alors seule avec 2 jeunes
enfants.
Cette période l’extrait du foyer pour aller
travailler dans une usine d’armement.
Ce sera la seule fois.
En 1944, elle a 27 ans lorsque le droit de
vote est accordé aux femmes en France.
Après la guerre, elle aura 3 autres enfants
en moins de 3 ans.
C’est trop.
Une profonde dépression la saisit et l’engloutit
dans sa sphère privée.
Elle n’a jamais pris la pilule pas encore
inventée.
On dira à son petit dernier que c’était une
erreur de la méthode Ogino.
En 1968, elle a 51 ans, 6 enfants et tient
le commerce avec son mari.
Elle n’a jamais fait d’études. Peut-être le
certificat ?
A-t-elle eu son compte en banque ?
A ma connaissance, elle n’est jamais
descendue dans la rue.
Se sentait-elle libre de penser, de
choisir, de jouir de la vie ?
A-t-elle souffert de sa nature ?
J’aurais aimé en parler avec elle.
Je l’ai si peu connue.
Je ne l’imagine pas soumise ni brimée.
Je ne l’imagine pas épanouie non plus.
Subsiste un souvenir insolite :
J’ai 13 ans, c’est l’été et je la surprends
à inspecter et éplucher une de mes serviettes hygiéniques.
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